Jeudi 25 Avril 2024 - Sensations Normandie Seine - Rouen

Élections municipales : en Normandie, les Marcheurs normands en rase campagne

Municipales (7/8). Jusqu’au 8 mars, dans Place
de l’Hôtel de ville, nous jetons chaque semaine un regard transversal et régional sur les prochaines élections.Ce dimanche, zoom sur La République en Marche.

Ne l’appelez surtout pas marcheur.
« Moi je n’ai pas tellement envie d’éclairer ma campagne sur cet angle-là, avec la lumière LREM. Je crois que cela nous pénalise plutôt qu’autre chose, car nous sommes d’abord unis derrière un projet. » Le Nouveau monde a de ces pudeurs... Sur le site du mouvement, Philippe Couvreur, en lice à Bois-Guillaume, est pourtant le premier Normand à apparaître parmi les candidats investis par le parti présidentiel pour ces élections municipales jugées un temps cruciales pour l’enracinement local du mouvement lancé en avril 2016. Et ils ne sont pas légion ! Tout juste quatre dans la région, avec ceux présentés à Alençon, Mont-Saint-Aignan et Évreux. Et une poignée de candidats non pas « investis », mais « soutenus », à Rouen, Petit-Quevilly, Vire, Cherbourg, et Le Havre. Mais la différence entre les deux signes d’allégeance est subtile. « Ah bon, je ne suis pas soutenu, mais investi ? Je n’y ai pas fait attention, je vérifierai. De toute façon, ils m’ont juste appelé trois fois pour me demander si tout allait bien et m’ont proposé des kits (NDLR : payants) que je n’ai pas pris. Mais pour moi, c’était important d’avoir cet appui en termes de soutien juridique, de crédibilité et de réseau », fait mine de découvrir Stéphane Holé, tête de liste à Mont-Saint-Aignan, lui-même non encarté.

La faiblesse de la présence de marcheurs lors de ce scrutin serait néanmoins « logique », selon le référent du mouvement En Marche en Seine-Maritime, Maxime Boissière. « L’idée, ce n’est pas de planter le maximum de drapeaux un peu partout. L’ADN d’En Marche c’est plutôt l’ouverture », juge-t-il. Les sénatoriales en tête, il se dit confiant dans la réalisation de l’objectif de multiplier par cinq le nombre de conseillers municipaux sympathisants, au nombre d’une quinzaine aujourd’hui dans le département. Il concède aussi des erreurs de jeunesse. « Il y a parfois des difficultés de ressources humaines sur certains territoires. C’est notre première fois, on peut s’améliorer », encourage-t-il à la clémence. Frédérique Legrand, son homologue dans l’Eure – « qui a la chance d’avoir cinq députés et deux ministres En Marche » – admet pourtant n’avoir reçu aucune demande de soutien de candidats. « Le paysage est en train de se reconfigurer. Les autres partis non plus n’affichent pas la couleur », juge la candidate dans le village de Bretagnolles, près de Pacy-sur-Eure. Sur une liste sans étiquette.

C’est qu’effectivement, en ces temps de politique bashing, l’heure est au camouflage, au risque de perdre l’électeur dans les brumes d’un marécage de promesses et de bonnes intentions.

La tendance est générale, mais elle touche tout particulièrement un parti présidentiel qui négocie des tournants à haut risque. D’abord conjoncturels avec un climat politique et social tendu et des réunions publiques souvent perturbées par des Gilets jaunes et/ou des opposants à la réforme du régime de retraites. À Rouen et au Havre, Jean-Louis Louvel (propriétaire de Paris-Normandie) et Édouard Philippe ont dû essuyer chants et cris, après avoir pourtant répété qu’ils n’étaient pas des « candidats En Marche ». Mais aussi structurels. « On est en train de reproduire ce que les autres partis ont fait. Ce qui manque c’est l’horizontalité. Il faut écouter les gens, organiser des réunions sur le terrain. L’absence de militants actifs c’est parce qu’on n’a pas travaillé après 2016/2017. Là, on va dans le mur », dénonce le député LREM de Seine-Maritime, Xavier Batut, qui s’est mis en retrait du mouvement il y a quelques semaines avant de prendre la tête d’une liste à Cany-Barville. Un discours repris par la députée euroise Claire O’Petit, dépitée par la stratégie politique de son parti (avec ou contre LR, c’est selon) et tout particulièrement de l’omniprésent Sébastien Lecornu - candidat à Vernon - à l’initiative de l’association Ensemble pour l’Eure (EPE) qui ajoute encore au trouble ambiant. « À un moment, il faut savoir où on habite. Il y a un jeu d’alliances qui n’est pas sain. Nous avons un manque évident de militants qui a fait qu’aucun comité local n’a pu présenter de liste. À part à Évreux, nous sommes des suiveurs, pas des meneurs. C’est une catastrophe. »

À Évreux justement, le candidat investi, Guillaume Rouger, a travaillé auprès du délégué général d’En Marche, Stanislas Guérini, sur la réforme des statuts du parti, bientôt effective (lire ci-dessous). Il veut croire qu’elle apporte « un nouveau souffle à la démocratie interne, à l’animation du mouvement. Le contexte national n’est pas très favorable, mais moi je crois beaucoup à la politique par la preuve. Et je suis très fier d’avoir obtenu l’investiture En Marche ».

Ne l’appelez surtout pas lâcheur.

Repères« Un mouvement encore trop lié à Emmanuel Macron »Militants. LREM revendique 400 000 adhérents. En Seine-Maritime, 9 000 sont annoncés, 3 000 dans l’Eure.Financement. Selon les chiffres 2018 publiés par la Commission nationale des financements politiques le 18 février dernier, le mouvement affiche 23,88 millions € de ressources, dont 94 % d’aide publique. Et 0 % de cotisations, l’adhésion restant gratuite, tout comme chez La France Insoumise, Réforme. Le 6 janvier, 94 % des adhérents ont voté pour de nouveaux statuts. Applicables après les municipales, ils prévoient la création des Conseils territoriaux, l’élection des binômes paritaires d’animateurs locaux et la mise en place des nouveaux Comités politiques territoriaux et du nouveau Conseil national.Bruno Cautrès est membre du Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Il a été le coauteur en 2018 d’une vaste étude, « La République En Marche, anatomie d’un mouvement ». Comment expliquer la faiblesse du nombre de candidats investis par En Marche lors de ces municipales, pourtant présentées comme essentielles pour l’enracinement du mouvement ? Bruno Cautrès : « LREM est un mouvement politique caractérisé par la volonté de ne pas avoir de structuration au niveau local. Il n’y existe pas de fédérations départementales. Cela le rend moins à même de recruter des candidats. En plus, il n’évolue plus sur la dynamique de 2016/2017 où il revendiquait plus de 400 000 adhérents. Là, je serais étonné qu’on soit au même niveau. »Certains candidats En Marche semblent avoir du mal à afficher leur parti, se retranchant derrière leur projet local. Étonnant, non ?« J’ai plutôt le sentiment que l’on voit ça chez les candidats socialistes. De toute façon, il y a forcément un prisme local même si une partie des électeurs voteront selon une logique nationale, avec un vote sanction contre Emmanuel Macron. Les enquêtes d’opinion montrent que ce sont les questions locales qui dominent. Avec une campagne qui se cherche, sans thème dominant. On attend d’ailleurs toujours d’en savoir plus sur le “progressisme local” qu’Emmanuel Macron avait évoqué. »Dans votre étude de 2018, vous parlez d’un parti personnel, très lié à l’ambition portée par Emmanuel Macron. Le mouvement peut-il dépasser ce stade originel ? Grâce à la réforme de ses statuts ?« La principale difficulté, vitale, du parti c’est qu’il n’existe qu’à travers Emmanuel Macron. Son message politique, sa théorie cela reste lui et la vague idée, de gauche et de droite. Et maintenant, surtout de droite. La réforme des statuts peut apporter plus d’horizontalité. Mais cette horizontalité était déjà affichée en 2016. Comme pour les autres partis, la difficulté est de réinventer des formes d’organisations politiques pertinentes et évolutives dans un contexte français de contestation de leur utilité. »