Lundi 29 Avril 2024 - Sensations Normandie Seine - Rouen

Municipales 2020. Place de l’Hôtel de ville : en Normandie, une campagne aux multiples réseaux

Municipales (8/8). Dans Place de l’Hôtel de ville, nous jetons chaque semaine un regard transversal et régional sur les prochaines élections. Ce dimanche, les nouveaux moyens de faire campagne.

Le traditionnel meeting, la classique réunion publique, commencerait à sentir le rance. « C’est un peu fini, sauf à avoir un vrai thème avec un invité », pense Marc-Antoine Jamet, candidat à Val-de-Reuil (27). La grande tendance pour ces municipales 2020, ce sont les cafés citoyens et les réunions d’appartement. Un sympathisant réunit une vingtaine de connaissances non politisées pour des échanges quasiment individuels avec le candidat. Au Havre, ce n’est pas une nouveauté pour l’équipe d’Édouard Philippe qui en organise régulièrement et assure en avoir déjà effectué plus d’une centaine lors de la campagne de 2014. Dans la même ville, le candidat du RN Frédéric Groussard assure ne croire qu’à cette formule parce qu’aussi « c’est moins cher que de louer une salle pour un meeting ». À Rouen, c’est la façon dont Jean-Louis Louvel (propriétaire de Paris-Normandie), novice en politique, a choisi de mener campagne. « C’est notre stratégie de départ, précise François Laurent colistier de Jean-Louis Louvel et communicant de formation. C’est un style qui correspond bien à notre candidat. Il aime convaincre. » Dans ce genre de réunions, les candidats ont l’impression que la portée de leur message est bien plus grande, plutôt que de dire la messe lors d’un meeting devant des centaines de militants déjà convaincus.

Ce sont le numérique et les réseaux sociaux qui ont également pris de l’ampleur. « Leur utilisation est sans commune mesure avec la précédente élection de 2014 », juge Cyrille Moreau, directeur de campagne du candidat écologiste rouennais, Jean-Michel Bérégovoy. Ainsi, aucun candidat ne peut désormais se dispenser d’une présence numérique. Souvent actifs sur Facebook et Twitter, les candidats des grandes villes posent désormais leurs jalons sur Instagram, où ils espèrent attirer un public jeune. Un électorat précieux, surtout chez les Verts qui leur doivent une partie de leurs bons résultats aux Européennes l’an dernier. « Nous avons six personnes qui s’en occupent avec un référent par réseau », glisse Cyrille Moreau. Une façon d’éviter l’amateurisme de certains sur les réseaux sociaux. Quand des colistiers se transforment en vengeurs à peine masqués, le dérapage n’est pas toujours loin.

« identifier là où l’élection peut pivoter »

Pour se démarquer, plusieurs candidats tentent des formats originaux, avec plus ou moins de réussite : Xavier Darrouzet, candidat à
Bolbec, a sorti un clip musical
. À Rouen, la candidate centriste Marine Caron utilise de courtes vidéos de questions-réponses dans un format qui n’est pas sans rappeler celui du média en ligne Konbini.

Autre effet de la présence en ligne de tous les candidats, le débat entre les différents partis ne se termine jamais. Ainsi, au Havre, les membres des listes sans étiquette de Jean-Paul Lecoq et d’Édouard Philippe se répondent régulièrement par tweets interposés. Pas de politique du « clash » en revanche pour François Laurent à Rouen : « Nous avons un sillon et nous le suivons. Nous ne répondons pas aux attaques. »

Le numérique est également une façon plus douce de s’engager pour les sympathisants. « Les réunions publiques peuvent en rebuter certains, il y a une barrière culturelle, juge Cyrille Moreau. Internet, cela permet d’agir autrement sans se confronter à la sphère militante. » Mais les partis ont toujours besoin de militants sur le terrain, notamment pour « boîter ». C’est une opération chronophage et hasardeuse. Pour cibler au mieux les endroits où distribuer ses tracts, des sociétés éditrices de stratégies électorales via les données proposent leurs services. Laure Vaugeois, responsable commerciale chez Explain, l’une des deux sociétés principales dans le domaine, explique tout simplement : « On aide à identifier les endroits qui peuvent faire pivoter l’élection. » Il s’agit de repérer les quartiers, les zones où il y a un plus fort potentiel. Grâce à la compilation de données ainsi qu’à un algorithme, propre à l’entreprise parisienne. Concrètement, sur 100 électeurs d’Édouard Philippe en 2014, Explain assure pouvoir dire comment ils ont voté aux Européennes de 2019... Un potentiel qui laisse rêveur. « Dans une campagne, on manque de temps et d’argent. On permet aux candidats d’optimiser la gestion de leurs ressources », glisse Laure Vaugeois. Mais cette analyse scientifique du terrain n’est pas du goût de tout le monde. « Nous avions fait appel à ce type d’entreprise lors de la campagne des Régionales (NDLR : en 2015 pour Nicolas Mayer Rossignol), explique Marc-Antoine Jamet. Je n’ai pas été enthousiasmé. »

« Cela peut être rentable si on a la personne qui sait utiliser correctement la ressource, abonde Cyrille Moreau. Nous, on fonctionne à l’ancienne là-dessus. » Les vieilles méthodes, un refuge pour les candidats. Tous les week-ends, on les retrouve sur les marchés avec leurs équipes à argumenter et distribuer des tracts. Indémodable.

Les règles« Les candidats doivent concevoir une communication 360° »Restriction. La communication électorale est encadrée strictement par le code électoral. Par exemple, les sites internet des collectivités sont tenus à la neutralité dans les six mois précédant l’élection, ils ne peuvent ni servir explicitement la propagande d’une liste ni établir de lien vers le site d’une liste. Un maire candidat à sa propre succession ne peut donc pas utiliser la page de sa commune pour faire campagne. Interdiction. Sur les réseaux sociaux, on peut « booster » des publications moyennant finance. Pratique très courante en marketing, elle est cependant interdite en politique dans les six mois précédant le vote.Éric Delamotte, professeur en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Rouen et membre du laboratoire espaces et société au CNRS. Être présent sur les réseaux
sociaux, une démarche indispensable pour les candidats en 2020
 ?« Le numérique n’est plus aujourd’hui un gadget de communication visant à s’adresser aux populations dépolitisées [...]. Le numérique devient un outil central pour susciter des votes en faveur d’un candidat [...]. Remède et poison, comme l’explique Nicolas Vanderbiest spécialiste du Net, les réseaux sociaux peuvent servir à différentes stratégies dont celle de la “boule puante”. »Utiliser un outil de data électoral, est-ce que cela a un intérêt au niveau municipal ?« L’usage des données électorales est une pierre angulaire des stratégies des partis politiques et interroge quant aux stratégies marchandes des vendeurs de pronostics et de techniques de mobilisation électorales. Avoir une base de données bien fournie et de qualité est devenu un atout fort pour un candidat afin de cibler sa communication [...]. La cartographie permet de repérer finement les zones abstentionnistes, celles qui sont favorables ou défavorables au candidat, etc. Cependant, l’universitaire Anaïs
Theviot, chercheuse spécialiste du domaine, met en garde contre les prétentions scientifiques de ces outils de réduire l’incertitude électorale et d’être la “clé” de la victoire. »Est-ce la fin des meetings traditionnels ?« Les candidats aux municipales doivent concevoir une communication 360° [...]. Il s’agit d’une démarche globale de communication nécessitant une connaissance de l’ensemble des outils et une capacité à trouver une complémentarité de ces outils dans le temps et dans l’espace afin d’atteindre les objectifs recherchés. »